Bonjour les raconteurs,
J’ai eu le plaisir d’échanger au mois de novembre avec Crystèle Ferjou, active depuis plus de 25 ans dans les pratiques d’école du dehors en France. Elle nous partage sa riche expérience de l’éducation dans la nature dans son livre “Emmenez les enfants dehors” paru cet été aux éditions Robert Laffont.
A sa lecture, nous découvrons que Crystèle n’emmène pas seulement les enfants dehors, elle emmène aussi les livres !
J'ai souhaité en savoir plus.
Bonjour Crystèle. Tu évoques à plusieurs reprises dans ton livre le rôle que peut prendre une littérature de jeunesse lors des sorties en nature. Pour toi, était-ce une évidence de joindre les livres à l’école du dehors ?
J’ai toujours été sensible aux histoires. Pourtant, j’ai dû croiser 5 albums durant mon enfance ! Je suis née dans les années 70, la littérature de jeunesse débutait. Elle n’était pas aussi diversifiée qu’aujourd’hui. Mais je me souviens très bien de ces quelques albums qu’on lisait à la maison. Ma mère avait aussi l’habitude de nous raconter des histoires le soir, ses histoires bien à elle. J’ai été imprégnée par ces histoires racontées.
C’est plus tard en tant qu’enseignante et puis avec mes propres enfants que j’ai vraiment découvert la littérature de jeunesse. Quand j’ai commencé les pratiques d’école du dehors, ça allait donc effectivement de soi. Je souhaitais faire vivre dehors une expérience avec le livre. Et cette expérience-là m’a permis d’observer combien la classe du dehors pouvait permettre à l’enfant d’entrer en relation avec le livre.
Une de mes élèves ne manipulait jamais le livre à la maison tout comme elle ne fréquentait jamais le coin lecture en classe. Ce jour-là, j’écoutais avec elle un pinson des arbres. On ne le voyait pas mais on l’entendait chanter. Je lui ai dit “Viens, on va s’asseoir au pied de l’arbre et je vais te montrer dans le livre à quoi ressemble cet oiseau”. Ca a été un déclic pour elle. C’était sa première entrée émotionnelle, sensible, avec le livre. A partir de ce moment-là, elle a pris beaucoup de plaisir à fréquenter le coin lecture, tant dehors que dans la classe.
J’ai toujours aussi aimé observer mes élèves dans leur posture de lecteur/lectrice à l’extérieur. Dehors, la variété des postures est assez incroyable ! Je les ai souvent observés allongés sur le dos, sur le ventre, avec le livre en l’air (ils regardent le ciel avec l’œil posé sur les pages du livre) ou le regarder à plusieurs. Les postures sont très différentes de celles vécues à l’intérieur.
L’expérience dans la nature peut donc initier l’enfant au plaisir de la lecture …
Tout à fait. Et réciproquement, les livres qui évoquent des aventures dans le milieu naturel peuvent être des déclics pour donner envie aux enfants d’aller vivre ces aventures-là dans la réalité. J’ai souvent proposé ces expériences-là à mes élèves, surtout avec les contes traditionnels (comme le petit chaperon rouge) : passer de l’histoire lue / entendue à l’histoire vécue, à l’histoire qui se prolonge dans la nature. Quand on se pose à nouveau avec l’album, les enfants sont capables à leur tour de le raconter. Ils passent d’une posture de lecteur à celle de raconteur.
Quels types de livres emportais-tu à l’école du dehors ?
J’emportais toujours quelques guides d’identification ou des clés de détermination qui sont un peu de grands imagiers pour les élèves. Je choisissais ensuite des albums qui pouvaient permettre à l’enfant de faire un aller-retour entre ce qu’il découvrait (sur la page) et ce qu’il pouvait réellement voir. Le soin à apporter au choix de l’album n’est pas du tout anodin. J’ai ainsi identifié au fur et à mesure des auteurs qui attachent une grande importance à la justesse de leurs dessins tout en nous amenant dans l’imaginaire.
Je faisais le choix aussi de ne pas emporter de livres documentaires à l’extérieur. Certains sont d’ailleurs trop fragiles pour la classe du dehors. J’aime beaucoup par exemple les petits carnets naturalistes de Thierry Dedieu. Ils se déplient en accordéon. On a des dessins très précis, des collages, des petites notes d’humour du professeur qui détaille. Ils sont trop délicats toutefois pour être manipulés à l’extérieur.
Peux-tu me citer quelques albums coups de cœur ?
J’ai un immense coup de cœur pour les albums de Anne Crausaz, édités aux éditions MeMo. Cette autrice nous dévoile toujours, tant avec l’image qu’avec le texte, une grande sensibilité à la relation au vivant, végétal ou animal.
Voici un album qui se lirait bien en cette saison “Maintenant que tu sais”. Il nous fait découvrir l’univers de l’amanite tue-mouches, le joli champignon des bois, son écosystème mais aussi tout un univers imaginaire. Celui-là encore “Jouets des champs” a été manipulé par de nombreuses petites mains pleines de terre. Mes élèves l’aimaient beaucoup. Il nous donne envie de créer des jouets à partir des éléments de la nature.
De Anne Crausaz, on retrouve aussi les aventures de Raymond l’escargot. Dans l’album “Qui a mangé”, les pages nous donnent l’impression d’avoir été grignotées par l’escargot lui-même. Pour l’anecdote, mes élèves avaient un jour oublié un album dans le jardin et quand nous y sommes retournés la fois suivante, il avait été lui aussi grignoté ! Ca m’amuse de retrouver cette histoire dans l’album de Anne Crausaz.
Les livres vivent aussi leurs propres aventures dehors ! Comment introduisais-tu l’album quand tu menais tes propres classes à l’extérieur ?
Lors des sorties, les enfants emportaient un chariot avec des albums que je diversifiais d’une fois à l’autre. Ce sont alors des espaces de surprises pour les enfants. Je ne leur disais pas forcément quels albums j’avais placé dans la charrette. Ensuite, nous installions les livres sur une nappe avec la consigne de ne pas les déplacer partout.
Parfois je racontais une histoire à l’ensemble du groupe. Sinon, les enfants pouvaient venir s’installer sur la nappe et feuilleter les livres durant leur temps libre. En fonction des échanges, je pouvais aussi regarder dans un livre avec l’un ou l’autre enfant un élément en particulier, en lien avec les découvertes du dehors.
Aujourd’hui, si j’avais à nouveau une classe, je pense que j’adapterais un peu la consigne. Je mettrais en place un autre temps ritualisé, le quart d’heure lecture. On choisirait tous un livre et on s’installerait là où on veut. Les postures étaient déjà si variées, rien qu’en s’installant sur la nappe. En laissant libre le choix de l’emplacement, je pense qu’on aurait des choix d’installation, de postures assez sympathiques à observer !
Tu mentionnes dans ton livre combien raconter une histoire dehors, ce n’est pas tout à fait la même chose qu’à l’intérieur. Peux-tu m’en dire davantage ?
Quand on s’installe dehors pour lire un livre, en plus de la réception de la lecture, tous nos sens sont placés en éveil. On est sensible au soleil qui nous réchauffe la joue, aux gouttes de pluie qui tombent de l’arbre. Dans notre inconscient, il se joue des choses. Même si la posture de lecteur reste au fond assez statique, le livre ne vient pas nous toucher de la même manière parce que notre corps tout entier est touché par ce qui nous entoure. Et toutes ces ambiances sonores, sensorielles vont certainement jouer leur part dans la réception et la mémorisation de l’histoire.
Quel que soit le livre, quels que soient nos objectifs pédagogiques, il faut aussi accepter qu’il se joue dans la réception du livre bien autre chose. Une histoire va toucher notre inconscient, notre vécu personnel. Une même histoire sera lue/entendue de manière différente pour chacun d’entre nous. Il y a toujours une part de mystère …
Merci beaucoup Crystèle !
En se joignant au dehors, l’expérience de la lecture prend sens, s’inscrit dans le réel tout en s’enrichissant de l’imaginaire qui vient à déborder des pages comme l’eau de la rivière qui sort de son lit !
Je vous invite à consulter le site du collectif "Tous dehors" pour en savoir plus sur les projets d'écoles du dehors par chez nous (tousdehors.be). Et si vous aussi vous souhaitez emporter des livres lors de vos sorties, n’hésitez pas à me contacter. Nous pourrions envisager ensemble un projet.